mardi 3 mars 2009


La leçon la plus importante pour chacun de nous est celle de l'amour inconditionnel, tant envers les autres que pour nous-même.
Elisabeth Kubler-Ross

Le jeune homme avait presque dix-huit ans et un air de chat écorché.
Une famille éclatée et plus de repères.
Il assistait presque régulièrement au cours d'anglais que mon amoureux dispensait cette année-là dans un établissement qui était sur le point de fermer faute d'élèves...
Je le vis, pour la première fois, alors que je traversais la cour, mon ventre rond en avant.
Il était adossé au mur, à moins que ce ne soit contre un arbre, et n'eut aucun mal à me reconnaître. 
Je ne l'avais jamais rencontré et pourtant, il me sembla pour ma part que je le retrouvai...
J'allais partager devant sa classe la singulière aventure de cette sixième grossesse. 
Le jeune homme me précéda dans le local et prit place parmi la douzaine d'élèves attentifs et curieux.
Ce fut son énergie particulière qui me parvint et m'intrigua.
Les jours passèrent et Pâques s'annonça. Il faisait délicieux cette année-là et l'idée d'un barbecue s'immisça avant de s'imposer. 
Et les élèves de se retrouver dans le jardin de leur titulaire...
Le jeune homme vint et, pour résumer, je pourrais dire qu'il ne partit plus.
Je ne sais si c'est lui qui s'accrocha ou nous qui le retînmes.
Quelque chose de crucial, de vital et d'urgent planait dans l'air et scellait un contrat qui nous impliquait tous. 
Nous étions, en quelque sorte, mis devant le fait accompli en même temps qu'emplis d'ardeur.
Il resta donc. Et avec lui, ses démons. 
Il tomba amoureux de notre fille.
Sa vulnérabilité requérait une présence et une vigilance permanentes.
Il progressait, lentement, au prix d'efforts incommensurables que ses doutes et ses relations finissaient inexorablement par anéantir.
Trop d'addictions, trop de mauvaises habitudes, trop de blessures affectives.
Il était brisé.
Pourtant, il y avait toujours cette vision qui ne nous quittait pas, la certitude qu'il pouvait s'en sortir, la connexion à sa beauté intérieure, à sa poésie, sa créativité et son rayonnement.

Je dois dire que c'est clairement sur des potentialités que nous nous sommes branchés, parce que la réalité tournait le plus souvent autour de la frustration et de la déception.

Les mois ont passé. 
Notre enfant est né et le jeune homme est devenu son parrain.
C'était clairement pour nous la meilleure façon de lui signifier sa vraie valeur.
Il fut touché, profondément. 
Il y eut, peut-être, autour de la naissance, quelque chose de l'ordre d'une accalmie, une improbable trêve.
Puis les démons réapparurent, ragaillardis, revigorés.

Il faut beaucoup de persévérance pour venir à bout des réflexes de sabotage et d'autodestruction d'un individu blessé. Le jeune homme était... polytraumatisé.
Chaque membre de la famille fit preuve de patience, souvent d'abnégation.
Quand l'un était sur le point de renoncer, découragé, l'autre prenait la relève.
Le jeune homme, lui, se débattait et, sans doute, faisait de son mieux.

L'été dernier, la mort dans l'âme, c'est moi qui lui ai demandé de partir.
Nous étions tous désabusés et j'avais le sentiment que ce qu'il percevait de notre déception le fragilisait davantage.
Chacun avait donné autant qu'il le pouvait. Le contrat semblait être rempli.
Il en était plus ou moins quitte de ses addictions et avait réussi son année.
Il a pris son temps pour organiser son départ et nous l'avons accompagné dans sa prise d'autonomie.

J'avoue avoir eu du chagrin, beaucoup de chagrin, mêlé à un sentiment d'insignifiance et d'impuissance.
Il n'y a pas eu de soutien, d'aucune sorte, autour de nous. 
D'ailleurs, le départ du jeune homme confirmait la froide certitude de nos observateurs. "L'entreprise était vaine et le pari voué à l'échec." 
Nous étions, selon toute vraisemblance, utopistes et peu méfiants.

Je me suis souvent réfugiée dans l'espace où je savais que j'avais donné tout ce que j'avais, tout ce que je pouvais, pour réparer, en lui, ce qui désirait l'être encore.
Dans l'espace où résonne cette phrase que j'adore : "Fais de ton mieux et laisse faire Dieu".
Cette histoire m'avait appris, tout du moins je le croyais, que l'on ne fait pas le bonheur de l'autre contre sa volonté.
Et j'ai accepté...

Ce week-end, le jeune homme est passé à la maison.
Il était beau comme un dieu.
Comme apaisé, léger et confiant.
Il est resté pour souper.
Quelque chose avait changé.
Il est resté pour dormir.

Et voici ce qu'il nous a dit :

"La maison, ici, je l'appelle le sanctuaire. Ce n'est pas tout votre tralala qui m'a aidé, c'est votre amour inconditionnel. Vous m'avez pris comme j'étais. Vous m'avez aimé comme j'étais. Vous m'avez fait confiance... J'ai de la chance. J'ai du respect. Je vous dis merci. Toi, Corinne, ce qui compte, c'est les graines que tu sèmes."

Et de nous expliquer qu'il a touché le fond avant de rater sa session d'examens. Puis qu'il a compris, repris espoir et qu'il prépare déjà la session suivante avec la ferme intention de réussir, parce qu'il a un objectif et une passion : l'anthropologie.
Et de surenchérir en expliquant que ses colocataires le trouvent bien plus sympa depuis qu'il a arrêté de fumer. D'ailleurs, souvent le soir, il organise des "cercles de thé" où chacun partage avec les autres ce qui lui est précieux. Et d'initier ses amis à la méditation. Et de leur faire découvrir le taux vibratoire de leur nom... Et d'insister pour que je poursuive ma lecture de "La vie des Maîtres" parce qu'il sent que ce livre peut transformer ma manière de travailler !

Le jeune homme est tiré d'affaire. Il est Vivant !

J'éprouve beaucoup de gratitude et je remercie la vie, qui, une fois de plus, me conforte dans les voies que je suis.
Et j'entends Christiane Singer dire "Créer en soi l'espace de la réconciliation... C'est de ce lieu où tu ne le juges pas que tu peux faire basculer son histoire."
Et je comprends pourquoi cette phrase m'avait transpercée lorsque je l'ai entendue, pour la première fois...
Et je sais pourquoi je continuerai à la dire et la redire désormais, espérant qu'elle transperce à son tour celui ou celle qui l'entendra... pour la première fois.

Vous savez quoi ? 
Je suis comblée et notre petit d'homme a vraiment un parrain magnifique !

10 commentaires:

Khaled KEM a dit…

Tres fascinant Corinne. Ce que vous avez fait avec ce jeune homme etait le point de tournage dans sa vie meme si c'etait pas claire au moment.
Je lui espere qu'il garde toujours la falmme de son ame vive pour le bien et qu'il en trouvera en vie son chemin.

Julian a dit…

Le petit d'homme sauverait le monde par la force de ses grands yeux noirs et de la confiance. Enfant venu du Ciel pour être le Moïse offert à l'Autre dans la Nuit.

Anonyme a dit…

Et si c'était trop lourd pour le petit Chaperon blond, d'être ainsi offert par ses parents à l'autel des belles intentions si idéalistes soient-elles. Prenez soin de votre Petit (d') Homme appelé à devenir. Un tel Trésor demande Soin. Ayez confiance !

Anonyme a dit…

Amour inconditionnel, Réconciliation, Vision.

Lianes dé-liantes, Colombes des espérances, Pentes d'amours et des équilibres. Pluri-elles...

Anonyme a dit…

Je rêve, j'entends les pas dans la chambre où dort le petit d'homme, j'entends le souffle de l'aîné tombé du nid, porté sur les ailes du vent, du désir et de la fragilité, j'entends s'envoler l'oiseau, et voici le ciel libre et le petit d'homme à la fenêtre de la vie.

Anonyme a dit…

Silence. Pluie d'or sur le visage d'encens, les dieux ne sont pas loin qui disent l'harmonie et la force réunies, la flamme au coeur de la Terre. Pierre

Anonyme a dit…

La belle de Baudour au pays des amours : autour de la tour à l'inneffable accueil les arbres en fleurs veillent au sortir de l'hiver. Portes ouvertes, bergerie, auberge de la vie. Merci Corinne. G.R.

Anonyme a dit…

Ce serait le sanctuaire, la veilleuse au seuil et les sandales dénouées. Ce serait le vent, les branches et les chants, le coeur dilaté, l'espérance trouvée. Khalid

Anonyme a dit…

Mon regard sur votre beau voyage est que oui, en suivant l’intuition vous êtes justes… ça a l’air de couler de source par écrit, mais dans la vie c’est mystérieux : on le sait – depuis au moins 3 ans – et on vit comme si on n’était pas libre du tout et que c’était impossible. Et puis un jour on décide que c’est impossible de ne pas y aller et on y va… et on avait raison et on le savait déjà et maintenant on le sait vraiment.

Peut-être que la vie existe pour tout le monde, et que seuls certains sortent courageusement du cocon qui rend tout infaisable ?

Julian a dit…

C'est le Pérou ! voici le petit homme lumière entrer au pays des Incas et le devançant, voici Fanny, Jules et Salomé, Corinne et Jan et puis...

Bienvenue à l'inconnu familier qui fait foi autant que loi et qui imprègne la vie autant que les coeurs...

De plein coeur avec vous !